L’attitude cavalière d’un expert en sinistre
L’histoire
Les propriétaires d’un cheval de compétition placent leur animal en pension, où il sera soigné et entraîné. Lors d’une compétition provinciale, ils constatent que leur animal est blessé, ce que confirme un vétérinaire. La blessure semble avoir été causée par certains gestes posés par l’entraîneur de la pension. Les deux propriétaires du cheval envoient alors une mise en demeure cosignée à l’entraîneur qui la transmet à son assureur en responsabilité, qui assigne une certifiée en expertise en règlement de sinistres au dossier.
Aux fins de l’enquête, l’expert en sinistre rencontre les propriétaires de l’animal. Cependant, au cours de la prise de déclaration, alors que les propriétaires tentent d’expliquer les circonstances de la blessure, cette dernière avoue ne rien connaître aux chevaux, encore moins aux chevaux de compétition. À plusieurs reprises, elle ne semble pas prendre au sérieux les propriétaires de l’animal. Elle leur dit aussi être convaincue que l’entraîneur n’est pas responsable de la blessure de l’animal. Elle ne prend pas le temps de rencontrer les témoins identifiés par les propriétaires et ne tient pas compte du rapport du vétérinaire soumis par ces derniers. Elle ne prend la déclaration que d’un seul des propriétaires, malgré le fait qu’elle les rencontre tous les deux. Les propriétaires du cheval finissent par porter plainte au Bureau du syndic pour dénoncer l’attitude et les comportements de l’expert en sinistre.
Ne pas accepter un mandat sans avoir les compétences requises
De prime abord, les deux experts en sinistre consultés relèvent de grosses lacunes dans les agissements de l’expert en sinistre. Ils remarquent d’abord le fait qu’elle avoue ne rien connaître aux chevaux. « Le monde des chevaux est très particulier, souligne Bertrand Vary, expert en sinistre chez Laguë, Vary, Verreault et associés. Ce n’est pas un milieu simple, il nécessite des connaissances spécifiques. Cependant, il peut arriver que l’on accepte un mandat en responsabilité dans un domaine avec lequel on est peu familier. Ce que l’expert en sinistre doit faire alors, c’est aller chercher les ressources et prendre les moyens requis pour mener son enquête correctement. » L’expert en sinistre pourrait faire appel à des spécialistes du domaine, dans le cas présent un vétérinaire ou un autre entraîneur de chevaux, afin d’obtenir les informations lui permettant de s’acquitter de ce mandat adéquatement.
Karine S. Correia, expert en sinistre et formatrice technique spécialiste en indemnisation chez Aviva Canada, rappelle aussi l’obligation déontologique liée au respect des limites de ses aptitudes1. « D’un point de vue déontologique, il est tout à fait convenable de reconnaître ses limites, indique-t-elle. Toutefois, lorsque l’on n’a pas les compétences requises pour traiter un dossier, il est important de se faire accompagner par un expert en sinistre plus expérimenté. Si ce n’est pas possible, il faut se retirer complètement du dossier. »
Une enquête soignée et objective
Outre le fait qu’elle n’ait ni les compétences en matière équestre ni le soutien approprié, l’expert en sinistre a également fait preuve de négligence2 au cours de son enquête. « Le mandat de l’expert en sinistre consiste à recueillir les faits pertinents à la réclamation et à transmettre les résultats de l’enquête à l’assureur avec sa recommandation », rappelle M. Vary. Or, dans cette histoire, l’expert en sinistre ne tient compte ni des témoignages ni du rapport du vétérinaire. « Pourtant, l’expert en sinistre aurait pu faire une demande de contre-expertise auprès d’un autre vétérinaire afin d’étoffer son dossier et sa conclusion », ajoute M. Vary.
De plus, en ne tenant pas compte de certains éléments du dossier, l’expert en sinistre oublie ses obligations en matière d’objectivité et d’équité3. « Dans l’exercice de notre profession, il est important de n’avoir aucune idée préconçue pour parvenir à une conclusion objective, souligne M. Vary. Il faut établir la chronologie des événements liés au dossier sans préjugés, parce que ce sont les faits qui permettront d’établir la responsabilité. » Mme Correia ajoute : « Le risque, en perdant son objectivité, c’est de ne plus être suffisamment au-dessus des faits pour les analyser adéquatement. » Il est important d’analyser toutes les possibilités sans idées préconçues. À la faute déontologique pourrait en plus s’ajouter la possibilité de devoir défendre un dossier incomplet devant les tribunaux4.
Une attitude professionnelle
L’approche adoptée par l’expert en sinistre peut aussi faciliter son travail. Les experts en sinistre sont amenés à traiter avec des personnes en situation de vulnérabilité émotionnelle. « Les propriétaires du cheval sont profondément attachés à leur animal, leur émotion est vive, explique M. Vary. Un cas de responsabilité comme celle-ci suscite beaucoup d’émotions. Peu importe le type de sinistre qu’il est appelé à traiter, l’expert en sinistre doit adapter ses gestes et son approche pour parvenir à remplir son mandat et à recueillir les informations nécessaires pour régler la réclamation. Il n’a pas à commenter la situation autrement. »
Pour Mme Correia, « un expert en sinistre a tout à gagner à se montrer équitable, car cela facilite la collaboration des parties impliquées. Lorsque tout le monde est traité avec empathie, objectivité et respect, cela contribue à la satisfaction de la clientèle, peu importe la conclusion du dossier ». À ce propos, il est bon de rappeler une donnée éloquente : un client insatisfait parlera de son expérience désagréable à une soixantaine d’autres personnes5.
Pour en savoir plus
Consultez les décisions du Comité de discipline de la ChAD en vous rendant à citoyens.soquij.qc.ca, en sélectionnant « CDCHAD » dans le menu déroulant « Tribunal ou organisme ».
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1 Article 26 du Code de déontologie des experts en sinistre.
2 Article 10 du Code de déontologie des experts en sinistre.
3 Voir articles 15 et 27 du Code de déontologie des experts en sinistre.
4 Voir notamment la décision Eggsotique Café inc. c. Promutuel Lanaudière, société mutuelle d’assurances générales, 2015 QCCS 178.
5 Voir l’article « L’étiquette professionnelle : une faute déontologique », La ChADPresse, été 2014, vol. 15, n° 2.
Publié originalement dans la ChADPresse printemps 2016