Quand un expert en sinistre n’invoque pas la bonne clause…
L’histoire
De retour de voyage, une assurée découvre que plusieurs arbres et arbustes ont été endommagés dans sa cour. Elle décide de soumettre une réclamation auprès de son assureur. Le dossier est assigné à un expert en sinistre qui communique avec l’assurée pour obtenir plus de détails sur la situation. Lorsqu’elle décrit les dommages, l’assurée mentionne que les arbres et les arbustes semblent avoir été rongés. Elle ajoute que son voisin s’est récemment plaint de la présence d’un lapin dans son potager. L’expert en sinistre demande à l’assurée de lui acheminer des photos des dommages afin d’en faire déterminer la cause par des spécialistes.
Quelques jours plus tard, l’expert en sinistre communique une mauvaise nouvelle à l’assurée : le spécialiste consulté croit que les dommages apparaissant sur les photos ont bien été causés par un rongeur. La réclamation n’est donc pas recevable en vertu de l’exclusion générale au contrat concernant les animaux.
Le lendemain, l’assurée fait appel à son paysagiste pour qu’il réaménage la partie de la cour ayant subi des dommages. Ce dernier l’informe que les dommages ont été causés par un lapin, et non par un rongeur. L’assurée communique avec un spécialiste du Biodôme de Montréal qui lui confirme en effet que « les lagomorphes – lapins, lièvres, pikas – et les rongeurs sont deux ordres différents dans la classification des mammifères ».
L’assurée rappelle donc l’expert en sinistre pour l’informer de ce nouveau fait. L’expert en sinistre transmet le dossier à son superviseur, également certifié en expertise en règlement de sinistres, qui confirme l’exclusion des dommages causés par les rongeurs. L’assurée insiste : le lapin n’est pas un rongeur. Le ton monte. L’assurée dépose une plainte auprès de l’assureur. Son dossier est examiné cette fois par le Service de traitement des plaintes, qui rejette également la réclamation. Le lapin n’est pas un rongeur, mais il n’est pas non plus un risque désigné pour les dommages causés aux arbres et arbustes. La première clause d’exclusion invoquée n’était pas la bonne! Excédée, l’assurée porte plainte à la ChAD.
Lire le contrat avec soin
Pour déterminer la cause du sinistre, l’expert en sinistre mandate un spécialiste qui l’induit en erreur en affirmant que les dommages sont causés par un rongeur. Le sinistre est donc en apparence non couvert, l’exclusion générale concernant les animaux stipulant ceci :
En plus des exclusions indiquées ailleurs dans le présent contrat, NOUS NE COUVRONS PAS : […] Les dommages causés par la vermine, les insectes, les oiseaux, les rongeurs, les ratons laveurs et les chauves-souris, sauf en ce qui concerne les vitrages des bâtiments.1
Toutefois, si l’expert en sinistre avait lu le contrat d’assurance soigneusement, il aurait probablement pris note de la clause relative aux végétaux, qui s’appliquait dans ce cas-ci :
[…] NOUS COUVRONS : […] Les arbres, les arbustes, les plantes et les pelouses se trouvant à l’extérieur sur les lieux assurés, à concurrence de 5 % du montant stipulé aux Conditions particulières pour votre bâtiment d’habitation :
a. à concurrence de 250 $ par arbre, arbuste ou plante, y compris leurs frais de déblai;
b. contre l’incendie, la foudre, l’explosion, le choc avec un véhicule ou un aéronef, l’émeute, le vandalisme, le vol ou les tentatives de vol.2
Cette clause démontre que peu importe si c’est un lapin, une taupe ou un cerf de Virginie qui a abîmé les arbres de l’assurée, la réclamation ne peut être recevable en vertu de son contrat, car les animaux ne sont pas un risque nommé. La première erreur de l’expert en sinistre a donc été de ne pas prendre le temps de consulter le contrat pour vérifier les protections, les exclusions et les limitations pouvant s’appliquer. L’expert en sinistre se doit en effet d’agir avec soin.
Par ailleurs, se peut-il que l’expert en sinistre se soit laissé influencer dans son enquête sans envisager toutes les pistes possibles? Il est pourtant de sa responsabilité de connaître les dispositions du contrat et de les appliquer en toute objectivité3. La seconde faute de l’expert en sinistre aura été de tirer des conclusions hâtives et d’avoir induit l’assurée en erreur4, manquant ainsi à ses obligations déontologiques.
Ne pas être négligent
Par ailleurs, après que l’assurée ait amené un nouvel élément, l’expert en sinistre se tourne vers son superviseur pour réviser le dossier. Ce dernier fait preuve de négligence5 en ne vérifiant pas rigoureusement le contrat de l’assurée. S’il avait à son tour veillé à le faire et à expliquer les exclusions correctement, la situation n’aurait peut-être pas pris cette tournure. L’assurée n’aurait pas été dédommagée, mais elle n’aurait sans doute pas porté plainte.
Cette histoire démontre à quel point il est important que les professionnels agissent avec soin, application et exactitude. Un oubli, de l’insouciance ou une information incomplète peuvent être lourds de conséquences. Aucun geste des professionnels, qu’ils soient experts en sinistre ou agents et courtiers en assurance de dommages, n’est assez anodin pour être pris à la légère.
La négligence est l’un des motifs de plainte les plus fréquents au Bureau du syndic. C’est pourquoi la ChAD en traitera dans son nouveau cours obligatoire, offert dès le début de janvier 2018.
1. Formulaire d’assurance habitation du BAC 1503Q 2011, « Propriétaire occupant – Formule tous risques ».
2. BAC, op. cit.
3. Code de déontologie des experts en sinistre, articles 10 et 27.
4. Ibid., articles 16 et 20.
5. Ibid., article 58(1).
Publié originalement dans la ChADPresse hiver 2017