Un représentant doit faire preuve d’indépendance professionnelle en tout temps
Article rédigé par Me Karine Lizotte, syndic adjoint, courtier en assurance de dommages des particuliers
Les faits1
Les assurés étaient propriétaires d’un hôtel qui a été détruit par un incendie dans la nuit du 8 au 9 janvier 2009. Bien que le bâtiment n’ait pas été une perte totale, les dommages, considérables, s’élevaient à environ 560 000 $. L’assureur refusait d’indemniser les assurés, se basant entre autres sur une aggravation de risque non déclarée. En mai 2013, la réclamation n’était toujours pas réglée, l’assureur n’ayant versé que 282 000 $ au créancier hypothécaire des assurés, lequel était également leur courtier d’assurance.
La plainte formelle
Après enquête par le Bureau du syndic, une plainte a été déposée devant le Comité de discipline, laquelle reprochait au courtier de « ne pas avoir évité de se placer directement ou indirectement dans une situation où il serait en conflit d’intérêts ». Les éléments recueillis lors de l’enquête ont démontré que le courtier avait procuré une couverture d’assurance pour le bâtiment dont ses clients étaient propriétaires par l’intermédiaire de son cabinet en assurance de dommages et qu’il était devenu leur créancier hypothécaire par l’intermédiaire de sa compagnie de gestion, pendant la période de mai 2005 à 2009. Selon le syndic, cette situation contrevenait à l’article 10 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (Code de déontologie) et à l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).
Article 10 du Code de déontologie :
10. Le représentant en assurance de dommages doit éviter de se placer, directement ou indirectement dans une situation où il serait en conflit d’intérêts. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le représentant est en conflit d’intérêts :
1˚ lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à privilégier certains d’entre eux à ceux de son client ou que son jugement et sa loyauté envers celui-ci peuvent en être défavorablement affectés;
2˚ lorsqu’il obtient un avantage personnel, direct ou indirect, actuel ou éventuel, pour un acte donné.
Article 16 de LDPSF :
16. Un représentant est tenu d’agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.
Il doit agir avec compétence et professionnalisme.
L’analyse du Comité de discipline
Le Comité de discipline a déterminé qu’il y a conflit d’intérêts notamment lorsqu’un représentant en assurance de dommages se trouve dans une situation où ses intérêts sont opposés à ceux de ses clients, lorsqu’il peut favoriser certains de ses intérêts au détriment de ceux de ses clients ou lorsque son jugement ou sa loyauté peuvent être affectés. Le Comité de discipline a reconnu qu’un représentant peut continuer d’agir s’il obtient le consentement éclairé de son client. Toutefois, en aucun cas, le représentant ne peut agir si c’est son indépendance professionnelle qui est en jeu, même si le client connaît et accepte la situation.
Lorsqu’il est question d’un avantage financier, le représentant ne peut exécuter le mandat, car son indépendance professionnelle ne peut être sauvegardée. Dans le cas illustré ici, le courtier, en prêtant de l’argent aux assurés, encaissait des intérêts. Pour le comité, « la signature de plusieurs prêts hypothécaires d’une valeur totale de 600 000 $ risquait de le placer dans une situation où, de toute évidence, son indépendance professionnelle pouvait être questionnée ».
Aussi, le comité est venu préciser qu’il n’était pas nécessaire d’indiquer spécifiquement, à l’article 10 du Code de déontologie, les mots « indépendance professionnelle » pour conclure à une infraction : « […] le Comité considère qu’une interprétation large et libérale de l’article 10 du Code de déontologie doit nécessairement englober l’obligation de sauvegarder son indépendance professionnelle, et ce, dans le but d’assurer l’objectif de la loi, soit la protection du public. »
Puisque le courtier avait agi comme prêteur par l’intermédiaire d’une entreprise de gestion et non par l’entremise de son cabinet, le Comité de discipline s’est également posé la question suivante : est-ce que le professionnel peut être reconnu coupable personnellement d’une infraction alors que c’est une personne morale, l’entreprise de gestion, qui est le prêteur, entreprise dont le courtier est actionnaire ? Le comité y a répondu en citant la décision Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922 (CanLII).
Dans cette décision, la Cour d’appel a reconnu que la théorie de l’alter ego s’appliquait aux membres de la ChAD. Cette théorie permet de reconnaître une responsabilité personnelle au professionnel qui a délégué des tâches qui doivent être effectuées par un certifié à une personne n’étant pas certifiée. Par exemple, un courtier qui demande à son adjointe de renouveler une police automobile sera responsable des actes commis par cette dernière. Ainsi, non seulement le courtier aura permis l’exercice illégal de la profession de représentant mais, si l’adjointe a omis d’ajouter une protection sur le renouvellement, il pourra de plus être reconnu personnellement coupable par le Comité de discipline de ne pas l’avoir fait.
Cette théorie s’applique également si le courtier pose des actes par l’entremise d’entreprises « dont il est le principal actionnaire et dirigeant ».
À la suite de cette analyse, le Comité de discipline a déclaré le courtier coupable « de s’être placé dans une situation de conflit d’intérêts et d’avoir fait défaut de préserver son indépendance professionnelle puisqu’il tirait un avantage personnel, direct et actuel et même éventuel pour un acte donné ».
La sanction
Lors de l’audition sur sanction, les parties ont présenté des recommandations communes au Comité de discipline, soit 10 000 $ d’amende, 2 000 $ pour chacun des cinq chefs. Ce montant a été réduit à 8 000 $ pour tenir compte du principe de la globalité de la sanction, laquelle ne doit pas être accablante pour l’intimé. Le comité a entériné cette recommandation en rappelant que la sanction ne doit pas être punitive, mais plutôt permettre d’éviter qu’une telle situation se reproduise. De plus, si les sanctions recommandées sont justes et raisonnables, le Comité de discipline doit les respecter.
1. Chambre de l’assurance de dommages c. Lareau, 2013 CanLII 33424.
Publié originalement dans la ChADPresse automne 2015