Maltraitance financière et matérielle : comment réagir?

Il y a maltraitance quand : « un geste singulier ou répétitif ou un défaut d’action appropriée qui se produit dans une relation où il devrait y avoir de la confiance et qui cause, intentionnellement ou non, du tort ou de la détresse à une personne » – Article 2 de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité.
Si environ 6 % des personnes aînées ont vécu une situation de maltraitance en 20201, avec le vieillissement de la population, on estime que ce taux devrait s’établir à 25 % en 20302.
Seriez-vous en mesure de repérer si un de vos clients vivait de la maltraitance financière ou matérielle? En tant qu’agent, courtier et expert en sinistre, vous pourriez être témoin de telles situations, voici comment les reconnaître, les prévenir et intervenir afin d’aider la personne en besoin.
Reconnaître la maltraitance matérielle et financière
Solitude, démence, problème de santé, dépression, faible revenu, perte cognitive ou perte d’autonomie, deuil : voilà des situations qui pourraient augmenter les risques de vulnérabilité de votre client. Demeurez vigilant aux indices qui pourraient indiquer qu’une situation de maltraitance se dessine. Notez-les au dossier-client et créez une relation de confiance vous permettant d’exprimer vos inquiétudes au client.
En plus de ces facteurs de risques, vous pourriez également observer des modifications soudaines dans la gestion des affaires de votre client, telles qu’une procuration ou des changements aux contrats d’assurance. Par exemple, le frère de votre client vous indique qu’il est dorénavant le mandataire et exige des modifications qui diffèrent des instructions habituelles de votre client ou encore désavantageuses par rapport aux protections incluses aux contrats de votre client. Porter une attention particulière à ce type de changement peut permettre de distinguer les situations où ce changement pourrait être justifié, notamment si le client subit des pertes cognitives significatives, des situations où il pourrait révéler une situation de maltraitance. Renseignez-vous, et surtout, évitez de sauter aux conclusions hâtives.
Utilisation abusive d’une procuration?
Dans le cas où une tierce personne prendrait des décisions au nom de votre client ou prendrait le contrôle du processus d’indemnisation, vérifiez si une procuration a été déposée au dossier désignant la personne comme responsable du dossier et si les termes de la procuration l’autorisent à agir ainsi. Si aucune autorisation n’est inscrite au dossier, regardez si un mandat de protection a été émis sur le site du Curateur public du Québec.
Si cette tierce personne n’a pas les autorisations pour agir au nom de votre client, indiquez-lui que vous ne pouvez prendre des instructions de sa part puisque vous devez en tout temps éviter qu’un tiers interfère dans le dossier de votre client3, que ce soit un fils qui magasine l’assurance automobile de son parent ou une petite-fille qui tente d’aider son grand-père dans sa réclamation.
Si la personne a effectivement une procuration, mais que vous doutez qu’elle prenne en considération les besoins de l’assuré, vous pouvez communiquer avec votre client pour valider la demande faite par le mandataire. Rappelez-lui qu’il ne perd pas son droit de gérer lui-même ses affaires ou qu’il peut, en tout temps, révoquer la procuration s’il le souhaite.
D’ailleurs, n’oubliez pas de noter au dossier-client vos discussions, vos observations et les faits qui vous laissent croire que votre client pourrait être victime de maltraitance. Ce faisant, évitez les jugements ou les prises de position, n’oubliez pas qu’en tout temps, vous devez agir avec « objectivité, discrétion, modération et dignité »4, comme indiqué à votre code de déontologie.
Signes d’inaptitude? Protégez votre client
Vous avez un client depuis longue date, mais vous avez remarqué récemment des pertes de mémoire, une lenteur importante pour lire un document et des difficultés à comprendre vos explications ou à prendre des décisions. Si la présence de certains indices n’indique pas nécessairement l’inaptitude, il est possible que votre client en démontre quelques signes.
Vous pourriez alors vérifier si votre client a désigné une personne de confiance avec qui communiquer en cas de besoin, sinon informez votre employeur et vérifiez s’il y a des directives mises en place pour réagir dans une telle situation. Notez à votre dossier-client les éléments qui vous semblent étranges ou les caractéristiques que vous avez observées justifiant votre perception.
L’inaptitude se définit globalement par l’incapacité pour une personne de prendre soin d’elle-même ou de gérer ses biens. Dans ce cas, à la suite d’évaluations médicale et psychosociale, un juge pourra déclarer l’inaptitude – partielle, totale, temporaire ou permanente – de la personne et nommer son représentant légal.
Si vous avez l’impression que votre client ne fait pas un choix éclairé ou qu’il subit de la pression d’une tierce personne, demandez-lui ses motivations, expliquez-lui les conséquences d’une telle décision et suggérez-lui un temps de réflexion. Vous pouvez aussi lui recommander d’identifier une personne en qui il a confiance et vous autoriser à communiquer avec elle.
Procuration ou mandat de protection?
41 % des aînés ont accordé une procuration à un proche et, dans 68 % des cas, cette personne était leur enfant5.
La procuration est un contrat qui permet à une personne (le mandataire) d’agir au nom d’une autre personne (le mandant), par exemple pour l’aider dans la gestion de ses contrats d’assurance ou des finances personnelles. Il peut s’agir d’une procuration générale ou spécifique, cette dernière confie des responsabilités précises. L’une ou l’autre ne retire pas les droits du mandant; vous pouvez donc en tout temps consulter et vérifier auprès de votre client aîné s’il consent aux instructions reçues du mandataire. Vous pouvez aussi lui rappeler qu’il peut révoquer la procuration à tout moment.
Le mandat de protection (anciennement mandat en cas d’inaptitude) est un document permettant à une personne d’identifier un mandataire qui administrera ses biens ou prendra soin d’elle en prévision de son inaptitude. Ce mandat est exécuté seulement lorsque le mandant devient inapte et à la suite d’une homologation par un tribunal.
Votre rôle de sentinelle
Par la relation que vous entretenez avec vos clients, vous pourriez jouer le rôle de sentinelle afin d’identifier les personnes susceptibles de vivre une situation de maltraitance financière et de les diriger vers les ressources d’aide appropriées.
Inutile de préciser que la maltraitance cause des conséquences importantes aux victimes. En plus d’être difficiles à dévoiler, les conséquences en sont aggravées par le fait qu’elle est souvent causée par des membres de la famille, des amis ou des personnes proches aidantes en qui l’aîné entretient un lien de confiance.
Adoptez une approche bientraitante pour maintenir une relation de confiance avec votre client aîné. Favoriser une telle approche signifie que vous « informez la personne de ses droits et ses choix, aménagez l’espace afin de respecter l’intimité, respectez la confidentialité, communiquez de manière respectueuse, consultez la personne aînée pour toute décision la concernant et adaptez les services selon les besoins »6.
« La bientraitance vise le bien-être, le respect de la dignité, l’épanouissement, l’estime de soi, l’inclusion et la sécurité de la personne. Elle s’exprime par des attentions, des attitudes, des actions et des pratiques respectueuses des valeurs, de la culture, des croyances, du parcours de vie, de la singularité et des droits et libertés de la personne. »7
Il est possible que le client ne veuille pas discuter de la situation avec vous, respectez son choix. Vous pouvez lui proposer d’autres ressources et rester à l’écoute si, ultérieurement, il souhaite votre aide. Par ailleurs, le consentement du client est toujours recherché, mais non obligatoire si vous avez « un motif raisonnable de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessure grave menace une personne »8.
Vous pourriez être un acteur important dans la lutte contre la maltraitance financière. Pour accompagner votre clientèle aînée en situation de maltraitance ou à risque de l’être, suivez la formation gratuite Formation pour contrer la maltraitance matérielle et financière envers les personnes aînées destinée aux personnes œuvrant dans le secteur financier.
Cette formation a été développée par le Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS) du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal avec la collaboration du Secrétariat aux aînés du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Des partenaires et des membres du sous-comité pour le plan de formation national pour la formation en maltraitance matérielle et financière ont également contribué, notamment l’Autorité des marchés financiers (Autorité).
L’Autorité propose également un aide-mémoire et un Guide pratique pour vous aider à repérer une situation de maltraitance financière et protéger un client en situation de vulnérabilité.
[1] Institut de la statistique du Québec. Enquête sur la maltraitance envers les personnes aînées au Québec 2019, octobre 2020. [En ligne]
[3] Article 37(3) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages et article 58(3) du Code de déontologie des experts en sinistre.
[4] Article 15 du Code de déontologie des experts en sinistre et article 14 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.
[5] Option consommateurs. Vos finances en toute sécurité. Guide à l’intention des aînés, 2e édition, p.10 (consulté en ligne le 23 novembre 2021).
[6] Information tirée de la Formation pour contrer la maltraitance matérielle et financière envers les personnes aînées développée par le CREGÉS du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.
[7] GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022, Québec, ministère de la Famille, Secrétariat aux aînés, 2017, p. 38.
[8] Les exigences requises par la loi pour pouvoir communiquer une situation de maltraitance sans le consentement du client sont précisées à l’article 18.1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.