Assurance de chantier
La construction est un secteur névralgique de l’économie québécoise qui mobilise de nombreux professionnels et corps de métiers : architectes, ingénieurs, plombiers, couvreurs, charpentiers, électriciens, etc. Sur un chantier, le risque de dommages matériels est préoccupant, compte tenu des outils, de la machinerie, du bien que l’on construit et du bien adjacent : les besoins d’assurance sont donc nombreux et rien ne doit être négligé. Tour d’horizon de l’assurance de petits et grands chantiers.
D’entrée de jeu, François Côté, directeur, Souscription corporative chez Desjardins Groupe d’assurances générales, met en garde contre l’expression petits ou grands chantiers. « Même si l’on œuvre surtout dans le domaine résidentiel, donc une valeur possiblement moindre, cela ne veut pas dire que les projets sont moins complexes, moins gros pour autant. » Ainsi, les projets peuvent concerner une nouvelle construction, une rénovation, un agrandissement, etc., mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’un chantier est défini, aux fins d’assurance, tout d’abord par la vocation du projet :
- résidentiel;
- commercial;
- industriel;
- institutionnel (hôpital, école, université, etc.);
- énergétique (hydroélectrique, éolien, nucléaire, etc.);
- civil (pont, tunnel, route, projet ferroviaire, etc.).
Au fait, ça couvre quoi l’assurance chantier?
Tout en rappelant que chaque projet de construction comporte des risques particuliers, Alain Giroux, CRM, courtier en assurance de dommages des entreprises et vice-président exécutif de Forum Risques et Assurance, commence son explication en rappelant : « Ce que l’on appelle fréquemment assurance de chantier regroupe en réalité différentes protections. Sommairement, il y a un volet pour couvrir les biens, communément appelé « tous risques de chantier », et un volet pour couvrir la responsabilité civile, communément appelé « responsabilité civile globale de chantier » ou « responsabilité wrap-up ». »
Contrat général ou spécifique?
Selon la nature de ses activités, l’entrepreneur peut souscrire à une assurance spécifique à un projet ou à une formule générale. « Ce dernier type de contrat convient particulièrement aux entrepreneurs en construction qui font toujours le même type de chantier et dont les valeurs sont similaires tout au long de l’année », explique M. Côté.
Ces contrats sont généralement souscrits sur une base annuelle, parfois pluriannuelle, et ajustés au renouvellement. Il est toutefois possible pour l’entrepreneur d’ajouter un contrat pour un projet spécifique en cours d’année. « Par exemple, si un entrepreneur réalise chaque année huit ou neuf chantiers d’environ 350 000 $ et qu’une année, il en réalise un de plus dont la valeur est de 450 000 $, il peut ajouter une police pour ce projet spécifique. Par contre, si au renouvellement, on se rend compte qu’il a réalisé plutôt six chantiers sur huit à 450 000 $, son assurance sera alors ajustée pour mieux représenter sa nouvelle réalité » illustre-t-il.
La responsabilité civile
L’assurance responsabilité civile générale (RCG) des entrepreneurs est souscrite par un entrepreneur général ou spécialisé, des sous-traitants ou des professionnels amenés à travailler sur un chantier, pour les protéger contre les réclamations potentielles de préjudice corporel ou de dommages matériels causés à autrui. Habituellement annuelle, cette assurance couvre uniquement les assurés nommés au contrat, c’est-à-dire l’entrepreneur et ses employés ou le sous-traitant et ses employés, par exemple. « Contrairement aux limites prévues dans une police spécifique qui sont exclusivement consacrées au projet identifié, les limites en assurance RCG des entrepreneurs sont globales, précise M. Giroux. C’est-à-dire que si l’entrepreneur souscrit une limite globale de cinq millions de dollars, cette somme sera partagée entre tous ses projets. »
L’assurance « tous risques de chantier »
Les risques de dommages matériels sont importants sur un projet de construction. L’assurance « tous risques de chantier » permet de couvrir les biens en construction, de même que la machinerie, l’équipement, les matériaux qui feront partie du projet final, etc. « Dans les grands travaux nécessitant de l’équipement spécialisé, il est possible que nous voulions aussi couvrir les équipements de construction : par exemple, le tunnelier sur un projet de tunnel » ajoute M. Giroux. Le début et la fin des couvertures d’une assurance « tous risques de chantier » souscrite pour un projet spécifique coïncident habituellement avec les dates de début et de fin de ce dernier.
La valeur du projet, la durée du chantier, son emplacement, la vocation des biens en construction, les techniques utilisées, les types de matériaux sont quelques-uns des critères utilisés pour évaluer le risque lors de la souscription. « Une maison construite avec un toit en pente de tant de degrés et un revêtement en bardeaux d’asphalte ne s’analysera peut-être pas de la même manière qu’une maison à toit plat avec une membrane en élastomère », illustre M. Côté. De même, l’expérience du constructeur, du propriétaire, des gestionnaires de projets et des principaux entrepreneurs – ainsi que leur historique de sinistres -, seront également importants lors de la souscription.
D’autre part, de nombreux outils et équipements de valeur ainsi qu’une grande quantité de matériaux inflammables sont souvent réunis sur les chantiers. L’incendie et le vol sont généralement couverts par l’assurance « tous risques de chantier », de même que les risques standards liés au vandalisme, à la foudre, à la grêle ou au vent. « Les biens « en transport » qui feront partie du projet peuvent aussi être couverts », ajoute M. Giroux. À l’inverse, seront généralement exclus le gel, le vol par un employé, les pénalités causées par un retard d’exécution ou les dommages liés aux matières polluantes. Selon les assureurs, il est commun d’ajouter des protections contre la pollution, ainsi que contre le refoulement d’égouts, les tremblements de terre, le bris d’équipement, par exemple.
Pour tout prévoir
Malgré tout, il n’en reste pas moins que ceux qui ont déjà eu à gérer des projets de tout genre savent qu’ils sont souvent touchés par toutes sortes d’aléas et imprévus pouvant causer des retards et des interruptions. Ainsi, les projets de construction ne font pas exception, et quelques jours de retard sur le chantier peuvent rapidement coûter très cher. « Lorsqu’un sinistre survient et qu’un chantier ne peut pas être livré à temps, cela peut entraîner une perte de revenus pour le propriétaire, commente M. Giroux. Par exemple, si un projet hôtelier n’est pas livré à temps, les revenus de location des chambres seront également retardés pour le propriétaire. » C’est pourquoi il est souvent bien important de souscrire une protection contre les pertes de revenus anticipés ou les pertes de bénéfices occasionnées par des retards dus à des sinistres couverts.
L’assurance de chantier, comme dans tout autre domaine, comprend également des limitations et des conditions. Par exemple, « le contrat peut prévoir une limitation du nombre de chantiers adjacents en cours, précise M. Côté. Dans un projet de développement de maisons de ville en rangée, on pourrait exiger de ne pas construire plus qu’un certain nombre de maisons à la fois afin d’éviter, en cas d’incendie, que le sinistre se propage à l’ensemble du projet. »
L’assurance « wrap-up »
Les chantiers présentent également un risque important de causer des blessures corporelles et des dommages matériels à des tiers. « L’assurance « wrap-up » est une assurance responsabilité civile pour se protéger des réclamations provenant des tiers à cet égard, explique M. Giroux. Sa particularité est qu’elle couvre tous les intervenants d’un projet : le donneur d’ouvrage ou le propriétaire, l’entrepreneur général ou spécialisé, les sous-traitants, les employés, etc., grâce à une seule et même police. » L’assurance « wrap-up » facilite donc la gestion des chantiers de construction, notamment lorsque de nombreux sous-traitants se succèdent et qu’un dommage à un tiers peut être la responsabilité de plus d’une entreprise. Souscrite pour toute la durée du projet, cette couverture sera aussi assortie d’une période « produits et travaux complétés » automatique de 12 ou 24 mois pour « couvrir les dommages matériels ou blessures corporels à des tiers qui pourraient survenir après la fin des travaux, mais qui auraient été causés par les activités de construction. Cette période peut être plus longue dans certains projets d’envergure » ajoute M. Giroux.
Certains chantiers se déroulent dans un environnement densément occupé. La construction ou l’agrandissement d’un bâtiment peut ainsi être réalisé à côté d’un autre bâtiment et il pourrait alors y avoir, entre autres, des risques d’endommager les fondations des bâtiments voisins. Ainsi, « en plus des critères de souscription utilisés pour la police « tous risques de chantier », les souscripteurs en « wrap-up » voudront aussi bien connaître les risques avoisinants. Par exemple : la construction se fait-elle au-dessus d’une ligne de métro? Y a-t-il beaucoup de passants dans le secteur? Un immeuble patrimonial se trouve-t-il à côté? » poursuit M. Giroux.
Quelques exclusions possibles en « wrap-up »
Comme la plupart des assurances en responsabilité civile, l’assurance « wrap-up » comporte une exclusion contre les blessures corporelles des employés et les dommages matériels aux biens placés sous le soin, la garde ou le contrôle de l’assuré. En construction, « l’intention de l’assureur en responsabilité civile est d’exclure tout dommage causé aux biens qui feront partie du projet final, ajoute M. Giroux. L’assurance « wrap-up » peut aussi contenir une couverture limitée pour les dommages environnementaux causés à des tiers, voire dans certains contrats, une exclusion absolue de pollution. Dans une assurance « wrap-up », la couverture pour la pollution sera typiquement limitée à des événements « soudains et accidentels » découverts durant une période donnée. Ces événements devront également être rapportés à l’assureur durant une période donnée. Idéalement, lorsqu’un risque de pollution existe, le représentant en assurance de dommages verra à offrir une assurance pollution spécifique pour le projet en question. Elle sera beaucoup plus étendue que la garantie « soudain et accidentel » présente dans la « wrap-up ». »
Une autre exclusion importante de l’assurance « wrap-up » est celle concernant les services professionnels. En effet, les professionnels travaillant sur un chantier de construction, tels que les architectes ou les ingénieurs, doivent détenir leur propre assurance responsabilité professionnelle. « Ceci dit, lors de grands travaux, par exemple un centre hospitalier, la souscription d’une assurance responsabilité professionnelle pour projet spécifique devrait être considérée pour couvrir adéquatement tous les intervenants professionnels du projet », recommande M. Giroux.
D’autre part, M. Côté souligne que « les réclamations en responsabilité civile ont évolué. Auparavant, la réclamation arrivait généralement trois à cinq ans après la fin des travaux. Aujourd’hui, on constate que ce type de réclamations peut survenir près de dix ans après la fin du chantier, et est souvent lié à la qualité des matériaux employés et à la malfaçon. » Cette tendance est d’ailleurs une préoccupation dans l’industrie, selon lui.
Types de réclamations fréquentes et prévention
En plus des retards de chantier et des réclamations en lien avec la malfaçon, quelles sont les réclamations les plus fréquentes en assurance chantier? Les dégâts d’eau, le vol, l’incendie et les préjudices corporels ont causé le plus de réclamations en 2014, selon l’assureur Encon. Même si cette année-là, les incendies ont représenté un peu moins d’une réclamation sur dix, cela demeure un risque important sur les chantiers. Pour les éviter, certaines précautions sont habituellement requises lorsque des travaux nécessitant ou dégageant de la chaleur sont exécutés. Outre la présence d’extincteurs portatifs, l’absence de débris combustibles à proximité sera également observée.
Par ailleurs, « un chantier est une attraction en soi, note M. Côté. Outre l’attrait pour les voleurs et autres vandales, les sites en construction attirent également les enfants – à cause des gros engins – ainsi que des curieux qui pourraient se blesser sur les lieux. » Le risque de blessure ou de préjudice corporel aux tiers est donc un autre élément de prévention important. « Selon l’emplacement du chantier, on conseillera de mettre une clôture cadenassée autour du site, ou encore de prévoir la mise en place d’un processus de surveillance pour éviter les vols », ajoute donc M. Côté. Certains projets pourront ainsi être placés sous vidéosurveillance lorsque le chantier est arrêté (la nuit et la fin de semaine, par exemple) et on pourra faire appel à une agence de sécurité. M. Côté termine en rappelant qu’« il est aussi important de bien conseiller nos clients, tant en matière de protections d’assurance qu’en matière de prévention sur les chantiers. »
En chiffres…Réclamations par perte – Assurance de chantier :
Réclamations par perte – Assurance « wrap-up » :
Réclamations par perte – Assurance RCG des entrepreneurs :
Source: Encon, 2014.
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Avant d’accepter un mandat en assurance de chantier…
« Avant d’accepter d’assurer un chantier, il est important de bien le comprendre, commente M. Côté. Parfois, le projet présenté peut être très novateur ou complexe. Dans un tel cas, il faudra valider qu’il respecte les normes de construction et de qualité des matériaux, etc. » Par conséquent, il est essentiel de réaliser une cueillette d’information exhaustive et soignée pour réaliser une analyse approfondie des besoins et offrir les protections adéquates.
Ainsi, « il ne faut rien tenir pour acquis. Chaque projet est unique et nécessite qu’on s’y attarde avec le même soin que pour les précédents », ajoute M. Giroux. Les chantiers requièrent une expertise particulière et des connaissances spécifiques pour répondre adéquatement aux besoins d’assurance d’un client. « C’est là que résident la beauté et le défi des projets de construction : dans leur diversité! » conclut M. Giroux.