Démystifier le rôle des actuaires dans l’industrie
Bien qu’ils soient nombreux dans l’industrie, les actuaires y jouent un rôle encore méconnu. Qu’est-ce qu’un actuaire? Que fait-il? Quel est son apport à l’assurance de dommages?
Se pencher sur le passé pour se tourner vers l’avenir
Gérer le risque en assurance de dommages
- de projeter la fréquence et la gravité des sinistres et de modifier la tarification en conséquence;
- d’améliorer la modélisation des hypothèses de sinistralité;
- d’établir des réserves plus exactes;
- de soutenir la haute direction dans la gestion des risques.
En d’autres termes, les actuaires dans l’industrie sont des gestionnaires de risques financiers. Comment s’y prennent-ils? « En tarification, par exemple, notre rôle est de déterminer le prix d’un bien à assurer, que ce soit une voiture, une maison ou une entreprise, pour établir une prime moyenne, mentionne Mme Leclerc. En assurance automobile, on commence par distinguer les différents types de véhicules et on analyse les statistiques des années précédentes pour chaque type de produit : fréquence des sinistres, coût des indemnisations, frais engendrés et profits. »
À cette étape, le contexte du marché est un élément important à prendre en compte. « On observe depuis plusieurs années une augmentation de la fréquence des collisions automobiles, dit Mme Leclerc. Notre hypothèse pour expliquer cette hausse est l’utilisation accrue des cellulaires et les messages textes au volant. » L’entrée en vigueur récente des nouvelles règles du Code de la sécurité routière, qui visent entre autres à réduire le nombre d’incidents liés aux distractions en punissant plus sévèrement l’usage d’appareils électroniques au volant, aura peut-être à son tour un impact sur ce type de sinistre. Seul l’avenir le dira.
Discrimination ou segmentation?
Pour affiner leur modèle et établir une prime représentative du risque d’assurance, les actuaires étudient ensuite les différents critères de tarification. Parmi ces critères, il y a la marque, le modèle et l’année du véhicule, pour poursuivre l’exemple en assurance automobile, ainsi que la météo ou la localisation géographique. Combinées aux critères relatifs à l’assuré (genre, âge, expérience, cote de crédit, etc.), ces données influenceront le coût de la prime.
Pourtant, certains critères liés à l’assuré sont considérés comme discriminatoires par plusieurs. La segmentation par le genre (homme ou femme) a même été interdite dans quelques pays européens. « Un débat a cours sur la “discrimination” en matière de risque, reconnaît Mme Leclerc. La corrélation entre l’âge et le sexe du conducteur est cependant claire : les statistiques démontrent que les jeunes hommes ont plus d’accidents que les femmes du même âge. Pour répartir équitablement le risque dans la cohorte, la prime est établie en fonction du profil de risque. » Elle ajoute : « En Ontario, c’est la cote de crédit qu’on ne peut utiliser. Au Québec, on s’en sert depuis le début des années 2000. Les modèles actuariels ont démontré qu’une personne dont la cote de crédit est parmi les meilleures fait souvent plus attention à ses biens. À titre d’exemple, elle présentera moins de risques de dommages par l’eau causés par une infiltration provenant d’une toiture mal entretenue. » Que l’un ou l’autre de ces critères soient interdits un jour, les actuaires retourneront à la table de travail pour trouver d’autres variables prédictives.
L’actuariat à l’ère de l’intelligence artificielle et des mégadonnées
Comment, par ailleurs, teste-t-on un critère de tarification? « Il faut d’abord collecter des données, anonymisées, mentionne Mme Leclerc. Ensuite, au moyen de divers calculs, on teste les données pour voir si un modèle se dégage. » Pour les actuaires, faire parler les chiffres, c’est être capable d’expliquer les tendances et les modèles. Si l’on n’y parvient pas, on ne les utilisera pas.
Or, de nos jours, ce ne sont pas les données qui manquent. Selon IBM, près de 2,5 trillions d’octets de données sont générés chaque jour, notamment grâce aux objets connectés, aux cellulaires et aux réseaux sociaux. Depuis plusieurs années, on croit dans l’industrie que ces données modifieront la manière de concevoir les produits et d’établir les modèles actuariels2. « À l’heure actuelle, les actuaires n’ont pas encore la capacité de travailler avec ces données massives, affirme Mme Leclerc. Nous devrons conclure des partenariats avec des spécialistes, dont des statisticiens, qui sont plus ferrés dans la manipulation de données, et voir comment nous pouvons travailler en complémentarité. »
De plus, l’émergence de l’intelligence artificielle « viendra très probablement changer les perspectives de l’actuariat, ajoute Mme Leclerc. Elle permettra à la profession de comprendre et de traiter de gros volumes de données. Mais nous ne sommes pas les spécialistes en la matière, nous devrons faire équipe avec les personnes qui détiennent cette expertise », rappelle-t-elle. Plusieurs actuaires s’attendent eux aussi à ce que leur profession se transforme, tout comme 61 % des répondants du Baromètre CIRANO 2018. Toutefois, « les machines auront besoin d’un humain pour les nourrir en données et analyser les résultats », conclut Mme Leclerc. Les actuaires dans l’industrie ne devraient donc pas voir leur rôle changer au cours des prochaines années; ils devront cependant être prêts à se former pour s’adapter aux bouleversements technologiques.
1. « La définition de l’actuaire », Université Laval [en ligne].
2. « Nouvelles technologies : à quoi s’attendre? », La ChADPresse, automne 2015, vol. 16, no 3